Un ange nommé Hélène Giroux

Article écrit par la journaliste Isabelle Maher et publié sur le blog du site : www.lederniermot.com
Service de rédaction professionnelle de récits nécrologiques permanents.

 

La télé hurlait à pleine tête dans la petite chambre d’hôpital. Pierrette vivait les dernières heures de sa vie. Au chevet de la dame de 76 ans, son fils et sa nièce, Hélène Giroux.

« La voisine de lit se mêlait de notre conversation par-dessus le son de sa télévision. Je ne pouvais pas croire que ma tante allait mourir comme ça », se disait Hélène qui a demandé et obtenu que la patiente soit installée dans un endroit plus paisible de l’hôpital.

« On nous a trouvé un petit coin tranquille. Nous avons fait jouer Les Quatre Saisons de Vivaldi. Elle a attendu à la toute fin et elle est partie. C’était un cadeau de me permettre d’être là », raconte, encore émue, celle qui venait d’accompagner son premier humain dans la mort.

Depuis 10 ans, Hélène Giroux a tenu la main de plus de 200 personnes jusqu’aux derniers moments de leur vie, presque toujours à leur domicile, moins de deux mois avant leur décès. Sa clientèle est âgée entre 54 et 62 ans, des cas de cancer pour la très vaste majorité.

« Chaque fois, c’est différent, chaque humain est unique. Chaque fois, je développe de nouveaux outils. Je ne saurai jamais tout de l’accompagnement des mourants », affirme-t-elle.

Contrairement à la croyance populaire, accompagner des mourants n’a rien de triste ou de déprimant. Les gens ne voient que les mauvais côtés de la mort, observe l’accompagnatrice de 57 ans qui se dit pourtant honorée d’accompagner les gens en fin de vie.

Quand le superficiel prend le bord

« On va à l’essentiel quand le temps est compté. Le superficiel prend le bord lorsque l’on est dans l’urgence, on ne parle pas de la météo… », explique celle qui a d’abord brièvement travaillé comme préposée aux bénéficiaires avant de suivre une formation de bénévole en soins palliatifs à la Maison Albatros.

Hélène Giroux, accompagnatrice

Beaucoup de gens préfèrent mourir à la maison, observe madame Giroux. Les familles des personnes en fin de vie qui font appel aux services de l’accompagnatrice sont souvent complètement démunies, elles ne dorment plus et sont épuisées.

« Certains ne veulent rien savoir d’un accompagnement. D’autres attendent trop avant de demander de l’aide. Pourtant, je suis convaincue que mon travail est essentiel. Après le décès, il reste entre nous un lien spécial, c’est tellement intense », confie-t-elle.

Comme tout le monde, Hélène ignore tout du moment où la mort viendra. C’est toujours surprenant, dit-elle, mais certains signes ne mentent pas. Parfois, des familles se confortent en projetant la personne en fin de vie dans certains projets qui auront lieu dans beaucoup trop longtemps.

« Mon rôle est aussi de les ramener délicatement à la réalité en leur disant de peut-être penser à plus court terme », raconte-t-elle.

Être présent auprès des gens confrontés à la mort ne se résume pas à leur tenir la main, explique Hélène Giroux. Accompagner, c’est aussi rassurer la famille qui affronte ce grand tabou. La mort est une « expérience sacrée » devant laquelle il faut rester humble et suivre le rythme du patient, ajoute-t-elle.

« Notre travail n’est pas de les amener à la sérénité. Ce n’est pas moi qui décide. Le maître, c’est celui qui est en train de mourir. Il faut rester là et lui donner le droit de vivre ce qu’il a à vivre, insiste-t-elle. Dans un accompagnement, il n’y a ni croyance ni religion. On accompagne un humain. »

Après la mort, l’accompagnatrice ne quitte jamais la famille avant que le corps ne soit emmené. C’est elle qui prévient le CLSC pour qu’un médecin vienne constater le décès. Elle communique également avec le salon funéraire désigné afin que les employés viennent chercher la dépouille.

« Je m’occupe de la toilette du défunt, je l’habille selon les volontés de la famille, je range tout le matériel médical et je m’assure que chacun ait la chance de bien saluer l’être aimé. Après le départ du défunt, je refais le lit et j’y dépose une fleur », relate-t-elle.

La mort enrichit la vie

Celle qui a vu mourir tant de gens croit que la mort enrichit la vie, c’est un grand honneur d’assister à la mort de quelqu’un que l’on a aimé, plaide-t-elle. Pourtant, comme bien des gens, Hélène Giroux a déjà eu peur de la mort. Avec le temps, sa vision a bien changé.

« Plus ça va, plus je pense que nous avons tous notre humble part à apporter dans ce monde pour faire une différence. L’âge de notre départ n’a pas d’importance. La mort est un passage, ton corps physique te quitte parce qu’il a fait ce qu’il avait à faire », pense-t-elle.

Accompagner des humains dans la mort et en faire un travail demeure très marginal. C’est aussi le premier service qui prend le bord à l’heure des coupures dans les soins de santé. Il n’est pourtant pas exagéré de dire que c’est un service essentiel, croit Hélène Giroux.

« Peu de gens sont préparés ou informés sur le processus de la mort. Que ce soit des proches aidants au chevet d’un mourant et même des soignants du milieu des CHSLD et des hôpitaux, tous manquent d’outils et de connaissances », observe-t-elle.

Auteure de trois ouvrages sur ce sujet qui la passionne, Hélène Giroux se sent encore souvent comme une « défricheuse ».

Une défricheuse devant la grande faucheuse.

Isabelle Maher

L’abondance dans l’accompagnement

Ces deux mots peuvent sembler incompatibles. Et pourtant, j’ai le privilège de vivre  tous les jours l’abondance, dans chaque accompagnement que je fais. Car oui, j’ai choisi cette vocation plutôt particulière, mais combien gratifiante et élevante même, devrais-je dire, de me trouver auprès des personnes qui se préparent à quitter cette vie.

La mort est davantage perçue comme quelque chose qu’on nous retire, pas qu’on ajoute, à notre parcours terrestre. Et il faut dire qu’on a souvent tendance à associer l’abondance à des choses matérielles, alors qu’elle est présente dans bien d’autres sphères de nos vies. Mais comment puis-je donc arriver à dire, qu’elle me permet de vivre dans la gratitude, l’émerveillement et surtout l’abondance ?…

Je sais, c’est difficile à saisir et cela ne veut pas dire que je ne vive pas d’émotion lorsqu’une personne quitte cette vie pour poursuivre sa route ailleurs. Mais je vis aussi bien d’autres choses dont on n’imagine même pas la portée, dans ces moments sacrés!

Tiens, je repense par exemple au dernier accompagnement que j’ai fait. Un homme de 97 ans. Bon d’accord me direz-vous, il a vécu toute une vie et il est normal de quitter celle-ci à un âge aussi avancé.

Il importe de savoir que pour moi, le temps de vie dans sa longévité n’est plus un absolu. On peut mourir à tout âge et même si dans notre vision des choses, il n’est pas « normal » de quitter cette vie à 40 ans, je crois tout de même profondément, qu’on « retourne à la maison » quand notre mandat de vie est terminé. Le sien a juste été plus long.

Cet homme a été un résilient et un pacifique toute sa vie et il s’est appliqué à mettre en place dans son parcours, des règles de vie qu’il avait choisi et qui lui étaient fondamentales pour être heureux ; comme par exemple, ne pas porter de jugement, aider toute personne qui a besoin, sourire, ne pas gaspiller son temps à critiquer ou à gémir sur son sort, etc….Ces règles de vie ont été trouvées par sa famille après son décès et lu le jour de ses funérailles. Je le reconnaissais tout à fait dans ces belles valeurs, en écoutant ce texte !

J’ai connu cet homme alors que j’accompagnais sa conjointe qui se mourait d’un cancer. Elle est décédée depuis quelques années maintenant. Nous avons gardé un certain contact et quand ce fut à son tour d’en perdre physiquement et d’être hospitalisé, la famille a naturellement fait appel à moi pour l’accompagner. Je me suis trouvé à son chevet de nuit, durant un mois.

J’étais émerveillée de constater à quel point cet homme ne se plaignait jamais de son sort et était tout sourire pour chacun. Même au moment où il a su qu’il ne pourrait plus retourner chez lui, il a continué à être résilient et à préserver sa bonne humeur.

Les cadeaux que j’ai reçus à son chevet sont tout, sauf matériels ou monétaires. Il se réveillait et quand il me voyait à ses côtés, il me faisait le plus beau des sourires. Je lui prenais la main qu’il tapotait toujours en signe d’appréciation et me demandait si j’avais bien dormi et si j’étais confortable. Quel homme charmant !

Chaque fois que j’accomplissais une tâche pour lui, si petite soit-elle, il me disait « Merci ma fille » et me tapotait à nouveau la main. Et quand je quittais le matin venu, il n’omettait jamais de me remercier chaleureusement pour « mes bons services », m’exprimant combien il était reconnaissant que je sois là.

Sa vision de la vie, sa manière d’être attentif et reconnaissant pour toute l’abondance affective qu’il vivait autour de lui, lui a permis de vivre et de terminer sa vie dans la plus grande sérénité et dans un état de conscience peu ordinaire.

Le dernier matin avant son départ, que je n’avais pas vu venir vu sa grande lucidité, je me préparais comme à l’habitude à le quitter pour aller dormir. Il m’a encore souri, remercié et m’a dit qu’il se sentait un peu fatigué pour se lever tout de suite. Je l’ai encouragé à rester au lit encore un peu, que rien ne pressait de se lever tout de suite. Il m’a souri, embrassé et ce fut notre dernière rencontre.

On m’a raconté par la suite que sa sœur s’est présenté à son chevet et l’a aussi encouragé à fermer les yeux et à se reposer encore un peu, alors que des membres de la famille jasaient dans la chambre. Il a souri et salué tout le monde et s’est mis à chanter « Ferme tes jolis yeux… ». Quelques minutes plus tard, il avait rendu l’âme, sans tambour ni trompette.

Cet homme extraordinaire m’a laissé tellement de cadeaux de sa belle présence ! Comment ne pas me sentir privilégié d’accompagner les gens à travers cette expérience de la grande traversée ! Et ce n’est pas la première personne de qui je retire autant. En fait il y a plein d’histoires comme celles-là que je pourrai vous raconter où j’ai reçu des présents inestimables, qui enrichissent ma vie et mon expérience ici-bas !

Alors oui, il m’est donné lorsque j’accompagne, de me sentir infiniment choyée,  à travers toutes ces formidables personnes que j’ai le bonheur de côtoyer. Et même dans un contexte aussi exigeant que la fin de vie d’un autre être humain, il est possible de transformer cette étape, par un regard différent, axé non pas sur le manque ou le moins, mais sur le plus que de telles relations ou de tels échanges peuvent nous apporter…et je peux vous dire qu’il y en a toujours !

Même les expériences d’accompagnement les plus difficiles que j’ai vécus m’ont toutes apportées une leçon, un enseignement, une prise de conscience, un changement de perception…et pour cela je suis infiniment reconnaissante ! Oui l’abondance est partout, même dans l’étape finale de notre traversée, la mort. Ne la craignons pas, mais approchons-nous de plus près pour entendre ce qu’ils ont à dire ou à nous offrir en héritage…

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure, conférencière
Écrit pour Holistik magazine, mai 2016
www.facebook.com/accompagnementetsoins

 

Profession: accompagner les mourants

Quel étrange métier me diront certains !

On croit à tort que côtoyer la mort doit être fort déprimant et qu’une personne la moindrement intelligente ne choisirait pas un tel travail dans le quotidien. En fait il ne s’agit pas d’un travail mais d’une vocation, car il est question ici de l’humain. Et je ne crois pas non plus qu’on choisisse ce métier…cela vient d’un appel intérieur et demande tout de même un certain vécu pour s’y sentir à l’aise.

Beaucoup de gens, à moins d’être confronté à une telle situation…et encore….ignore même qu’il existe des gens, tout comme je le fais, qui font ce métier et qu’il est possible d’être accompagné dans de telles circonstances. Il faut savoir qu’il existe plusieurs possibilités aujourd’hui pour terminer ses jours. Certaines personnes se retrouvent dans un hôpital, d’autres dans des maisons spécialisées comme il en existe plusieurs au Québec ou encore ont le désir de mourir à la maison, entouré de leurs proches, dans un environnement qui leur est familier. C’est principalement là que j’œuvre dans le cours de mon travail.

Accompagner, c’est avant tout assurer une présence chaleureuse et sécurisante auprès du malade et de ses proches. Cela nécessite d’entrer dans leur intimité, dans un espace sacré et très personnel. Mais tous ont tellement besoin à ce moment qu’il est rare que le contact ne soit pas positif. La chaleur humaine, le respect de la dignité et des valeurs de chacun sont des qualités primordiales dans ce métier. Le patient se trouve alors dans ce que l’on appelle les soins palliatifs. Il n’est pas abandonné par le système médical, mais on ne parle plus ici de guérir, mais plutôt de rendre confortable. Le patient reçoit donc tout ce qui peut répondre à ce besoin, que ce soit en équipement, en soins, en médicaments. Et comme accompagnatrice, je peux répondre à tout cela dans son quotidien, les priorités étant de lui offrir de l’aide physique, psychologique et spirituelle. Son pronostic est d’habituellement moins de 2 mois.

Je sais donc pertinemment à quoi m’attendre et ce que sont les objectifs de mon travail. Nul surprise alors au moment du décès. Je connais bien les signes qui m’indiquent que la fin se rapprochent et ils me servent de guides pour évaluer la situation, répondre aux besoins du patient et préparer la famille à ce qui s’en vient. Le but principal des soins palliatifs est de donner une certaine qualité de vie au temps qui reste et bien que ce soit difficile à imaginer, il y a encore dans cette étape de vie des moments d’humanité extraordinaires ! Lorsque le patient décède, j’ai davantage la satisfaction d’avoir pu faire une différence dans ce bout de chemin difficile d’accès pour la plupart d’entre nous.

Malgré la tristesse de perdre un proche, la plupart des gens pour lesquels j’ai ainsi accompagné un proche, ont à l’unanimité exprimé à quel point cette expérience avait été formatrice. Tous en sortent positivement bouleversés, voyant la mort autrement, l’ayant quelque peu apprivoisée. Cela change considérablement leur vision des choses et est souvent transformatrice pour leur propre parcours. Bien des préjugés tombent, des peurs s’atténuent considérablement.

Quant à moi je suis toujours émerveillée de constater à quel  point l’humain est d’une richesse intérieure incroyable, car au delà de leur corps détérioré, c’est davantage à l’âme que je touche…et de cela je me sens extrêmement privilégiée.

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure et conférencière
Écrit pour le blog de Thibault, mars 2013

www.facebook.com/accompagnementetsoins
hegir@hotmail.com

« Le privilège d’accompagner….choisir de côtoyer la mort », aux Éditions La Plume D’Oie
Mai 2012 (disponible par l’auteure)