L’aide médicale à mourir

Article paru dans le magazine web, « Le portail zen »
Juillet 2017

J’ai été pas mal bouleversée quand j’ai appris que la loi sur l’aide médicale à mourir avait été adoptée. Pas que je porte un jugement sur les gens qui souhaitent y avoir accès… c’est un choix beaucoup trop personnel et ce choix appartient à celui ou celle qui en fait la demande.

J’avoue que ce que je crains ce sont les abus et que cette façon de faire devienne normale pour terminer ses jours. Notre société est très expéditive et on veut tout, tout de suite, on ne veut pas attendre et on veut surtout avoir le contrôle sur les choses.

Ma pensée évolue toutefois au fil du temps. On m’a déjà demandé par le passé si j’accepterais d’accompagner une personne qui ferait ce choix. J’y ai réfléchi quelques minutes… je ne m’étais jamais posé la question…Mais naturellement, j’ai répondu oui.

Pourquoi ? Et bien tout simplement parce qu’il s’agit d’une expérience qui concerne un être humain et qu’il a tous les droits, comme n’importe qui mourant de maladie ou de vieillesse, d’être accompagné pour effectuer ce passage important de son existence.

Récemment, j’ai écouté une entrevue de Louise Deschâtelets, qui racontait son expérience d’avoir été demandé au chevet de sa belle-sœur qui avait choisi l’aide médicale à mourir pour terminer ses jours. Elle a elle-même été prise par surprise car elle ne souhaitait pas vraiment être présente, mais puisque c’était un moment intime et qu’elle y avait été invitée, elle ne se sentait pas le droit de refuser ce dernier souhait à sa belle-sœur.

Son témoignage m’a bouleversé. Louise Deschâtelets n’accompagne pas les gens en fin de vie dans son quotidien, mais l’expérience qu’elle a vécue ce jour-là a été marquante. La description qu’elle faisait des derniers moments, étaient exactement, ce que la plupart du temps je peux observer au chevet des gens dont le temps est compté : un visage serein, les rides estompés, un calme apparent…

Cela m’a apaisé face à l’aide médicale à mourir. Elle racontait qu’ils avaient tous été très bien informés de chacune des étapes, ont pu exprimer ce qu’ils vivaient chacun de leurs côtés, mais que de la voir si sereine juste avant la mort et au moment de la mort, l’avait grandement touché.

Sa façon d’en parler était aussi, comme lorsque je raconte ces épisodes de mon parcours…elle en parlait avec grandeur, une sorte d’émerveillement et de ravissement…profondément touchée par l’expérience, elle qui ne s’est pas gêné pour dire qu’elle avait peur de la mort.

J’ai réalisé que peu importe le moyen utilisé ou la façon dont la mort arrive (je ne parle pas bien sûr ici d’accidents, de morts violentes ou de suicides…), la personne qui en vit l’expérience et qui accueille ce qui est, peut tout à fait ressentir le même apaisement lorsque la vie se termine.

Hélène Giroux

Des détails qui n’en sont pas

Écrit pour le magazine web, « Le portail zen ».
Mars 2017

En décembre dernier, j’ai vécu un accompagnement hors de l’ordinaire; une dame allemande, anglophone, veuve, sans enfant et dont les quelques membres de la famille habitaient à l’étranger.

Ma présence auprès d’elle était donc devenue une grande source de réconfort, non seulement pour elle personnellement, mais pour la famille trop éloignée pour assurer une présence continue, bien que sa condition se détériorait rapidement.

Le soir de son décès, je me suis retrouvée seule à son chevet. J’ai l’habitude auprès d’une personne qui vient de décéder, de faire une toilette au corps, pour redonner à cette personne un peu de dignité, avant le départ pour le salon funéraire.

Durant l’accompagnement, la famille et moi avions pris l’habitude d’échanger régulièrement sur Skype et je savais que ce soir-là n’y manquerait pas non plus. Je savais aussi que cette dame serait incinéré et que ce dernier moment d’au-revoir pourrait à lui seul transformer pour eux toute l’expérience, car difficile de vivre un décès à distance et de ne plus revoir le corps par la suite.

Ce moment de soin au corps peut sembler macabre, pour qui ne l’a jamais vécu… mais c’est en fait un moment sacré dans le parcours de cette expérience et que je trouve fort important. Un moment où on prend vraiment le temps de s’arrêter. J’ai mis de la belle musique, ai choisi des vêtements, ai préparé tout ce dont j’avais besoin pour ce rituel.

Je souhaitais offrir à la famille, une image beaucoup plus sereine, qu’uniquement celui du dernier souffle. J’avoue ce soir-là m’être moi-même dépassée… Elle était tellement belle et son visage était si serein que le personnel venait à tour de rôle dans la chambre constater par eux-mêmes le résultat, tout en lui faisant leurs adieux.

Comme le médecin ne pouvait venir que le lendemain matin authentifier le décès, j’ai passé la nuit auprès du corps avec des bougies et de la musique et ai répondu à de nombreux appels de proches qui avaient appris la nouvelle de son décès. La magie de Skype a permis que je puisse installer le portable, de sorte qu’à tour de rôle, chacun d’eux a pu la voir une dernière fois et lui faire ses adieux.

Moments bien sûr très touchants et très intimes, bien que la plupart lui parlait en allemand et donc que j n’ai pu saisir ce qu’il se disait. Je pouvais toutefois sentir dans leur voix et leur énergie toute leur tristesse et leur affection aussi.

Un ange nommé Hélène Giroux

Article écrit par la journaliste Isabelle Maher et publié sur le blog du site : www.lederniermot.com
Service de rédaction professionnelle de récits nécrologiques permanents.

 

La télé hurlait à pleine tête dans la petite chambre d’hôpital. Pierrette vivait les dernières heures de sa vie. Au chevet de la dame de 76 ans, son fils et sa nièce, Hélène Giroux.

« La voisine de lit se mêlait de notre conversation par-dessus le son de sa télévision. Je ne pouvais pas croire que ma tante allait mourir comme ça », se disait Hélène qui a demandé et obtenu que la patiente soit installée dans un endroit plus paisible de l’hôpital.

« On nous a trouvé un petit coin tranquille. Nous avons fait jouer Les Quatre Saisons de Vivaldi. Elle a attendu à la toute fin et elle est partie. C’était un cadeau de me permettre d’être là », raconte, encore émue, celle qui venait d’accompagner son premier humain dans la mort.

Depuis 10 ans, Hélène Giroux a tenu la main de plus de 200 personnes jusqu’aux derniers moments de leur vie, presque toujours à leur domicile, moins de deux mois avant leur décès. Sa clientèle est âgée entre 54 et 62 ans, des cas de cancer pour la très vaste majorité.

« Chaque fois, c’est différent, chaque humain est unique. Chaque fois, je développe de nouveaux outils. Je ne saurai jamais tout de l’accompagnement des mourants », affirme-t-elle.

Contrairement à la croyance populaire, accompagner des mourants n’a rien de triste ou de déprimant. Les gens ne voient que les mauvais côtés de la mort, observe l’accompagnatrice de 57 ans qui se dit pourtant honorée d’accompagner les gens en fin de vie.

Quand le superficiel prend le bord

« On va à l’essentiel quand le temps est compté. Le superficiel prend le bord lorsque l’on est dans l’urgence, on ne parle pas de la météo… », explique celle qui a d’abord brièvement travaillé comme préposée aux bénéficiaires avant de suivre une formation de bénévole en soins palliatifs à la Maison Albatros.

Hélène Giroux, accompagnatrice

Beaucoup de gens préfèrent mourir à la maison, observe madame Giroux. Les familles des personnes en fin de vie qui font appel aux services de l’accompagnatrice sont souvent complètement démunies, elles ne dorment plus et sont épuisées.

« Certains ne veulent rien savoir d’un accompagnement. D’autres attendent trop avant de demander de l’aide. Pourtant, je suis convaincue que mon travail est essentiel. Après le décès, il reste entre nous un lien spécial, c’est tellement intense », confie-t-elle.

Comme tout le monde, Hélène ignore tout du moment où la mort viendra. C’est toujours surprenant, dit-elle, mais certains signes ne mentent pas. Parfois, des familles se confortent en projetant la personne en fin de vie dans certains projets qui auront lieu dans beaucoup trop longtemps.

« Mon rôle est aussi de les ramener délicatement à la réalité en leur disant de peut-être penser à plus court terme », raconte-t-elle.

Être présent auprès des gens confrontés à la mort ne se résume pas à leur tenir la main, explique Hélène Giroux. Accompagner, c’est aussi rassurer la famille qui affronte ce grand tabou. La mort est une « expérience sacrée » devant laquelle il faut rester humble et suivre le rythme du patient, ajoute-t-elle.

« Notre travail n’est pas de les amener à la sérénité. Ce n’est pas moi qui décide. Le maître, c’est celui qui est en train de mourir. Il faut rester là et lui donner le droit de vivre ce qu’il a à vivre, insiste-t-elle. Dans un accompagnement, il n’y a ni croyance ni religion. On accompagne un humain. »

Après la mort, l’accompagnatrice ne quitte jamais la famille avant que le corps ne soit emmené. C’est elle qui prévient le CLSC pour qu’un médecin vienne constater le décès. Elle communique également avec le salon funéraire désigné afin que les employés viennent chercher la dépouille.

« Je m’occupe de la toilette du défunt, je l’habille selon les volontés de la famille, je range tout le matériel médical et je m’assure que chacun ait la chance de bien saluer l’être aimé. Après le départ du défunt, je refais le lit et j’y dépose une fleur », relate-t-elle.

La mort enrichit la vie

Celle qui a vu mourir tant de gens croit que la mort enrichit la vie, c’est un grand honneur d’assister à la mort de quelqu’un que l’on a aimé, plaide-t-elle. Pourtant, comme bien des gens, Hélène Giroux a déjà eu peur de la mort. Avec le temps, sa vision a bien changé.

« Plus ça va, plus je pense que nous avons tous notre humble part à apporter dans ce monde pour faire une différence. L’âge de notre départ n’a pas d’importance. La mort est un passage, ton corps physique te quitte parce qu’il a fait ce qu’il avait à faire », pense-t-elle.

Accompagner des humains dans la mort et en faire un travail demeure très marginal. C’est aussi le premier service qui prend le bord à l’heure des coupures dans les soins de santé. Il n’est pourtant pas exagéré de dire que c’est un service essentiel, croit Hélène Giroux.

« Peu de gens sont préparés ou informés sur le processus de la mort. Que ce soit des proches aidants au chevet d’un mourant et même des soignants du milieu des CHSLD et des hôpitaux, tous manquent d’outils et de connaissances », observe-t-elle.

Auteure de trois ouvrages sur ce sujet qui la passionne, Hélène Giroux se sent encore souvent comme une « défricheuse ».

Une défricheuse devant la grande faucheuse.

Isabelle Maher

Oser déranger…

Article paru dans le magazine web, « Le portail zen »
Juin 2017

J’ai ajouté une corde à mon arc d’accompagnatrice en fin de vie…soit celle d’officier des cérémonies funéraires, depuis plusieurs mois déjà. Cela veut dire que j’organise avec la famille, une cérémonie laïque (sans ou très peu de religion), qui aura lieu directement au salon funéraire, en hommage à une personne chère décédée. Cette formule plaît de plus en plus car les habitudes ont changées au fil des années.

J’ai toujours senti que mon métier d’accompagnatrice en fin de vie m’invitait en quelque sorte à faire du défrichage auprès des gens qui croisent ma route, car le sujet porte encore sur son dos, de nombreux préjugés et tabous.

Je me rappelle fort bien des premières années où les gens me posaient des questions sur mon métier et mon désir à ce moment de ne pas les bousculer, en abordant ce sujet avec eux, sachant très bien qu’ils en seraient perturbés, car ma vision des choses bouscule ce qu’on a appris et ce qu’on entend encore concernant la mort.

Alors oui, là aussi les choses ont changées pour moi…maintenant, je m’en fais un devoir. Pas une obligation, mais je me sens fortement interpellée à leur partager ce que j’ai appris aux chevets des mourants et comment ces enseignements ont transformé mes perceptions.

Quand je prépare mes cérémonies, bien que je respecte leurs valeurs, croyances et visions, j’ose ouvrir sur le sujet, mais d’une manière qu’ils n’ont pas encore entendu parler. Je sais que cela surprends parfois, mais je suis aussi touchée de constater à la suite de leurs commentaires, que loin d’empêcher la tristesse de s’exprimer et le deuil de se vivre, mon approche différente et plus ouverte, permet de mettre davantage de lumière sur la situation et de nourrir l’espoir pour ceux et celles qui restent.

Hélène Giroux