Préparer le grand voyage

Il nous parait normal de préparer nos valises quand on part en voyage, de les mettre sur le lit des semaines ou des jours avant et d’y ajouter peu à peu ce qui nous semble nécessaire à rendre cette aventure la plus agréable possible…

Mais avez-vous déjà pensé à préparer celle du dernier voyage…oui, celui qui nous amènera à quitter la terre pour cette grande traversée vers l’au-delà ?….Ça peut paraître complètement fou, mais si vous saviez à quel point ça allège notre parcours de faire cet exercice ! Vous allez me dire, mais on aura bien le temps…comment le savez-vous ? On peut partir subitement d’une crise cardiaque, d’un AVC, d’un accident sur la route……je ne le souhaite à personne, mais pourquoi attendre de ne peut-être plus avoir le temps ou la capacité de le faire ?

Oui, je l’ai fait. Deux fois plutôt qu’une…..

La première fois, j’avoue que je n’étais pas très enchantée de m’y mettre…honnêtement ça m’a pris un an avant de me décider. C’est tellement bizarre cette idée de croire que si on fait ce genre de démarche, comme préparer son testament par exemple, c’est qu’on va nécessairement mourir demain…mais ça peut aussi arriver, on n’en sait rien. Alors mieux vaut s’y mettre maintenant, que de se retrouver en situation où cela n’est plus possible.

Quand j’ai débuté à fabriquer cette boite de dernières volontés, je me suis prise au jeu et j’ai finalement trouvé cela très libérateur et je dirais même agréable à faire. Je me suis demandé ce que j’allais y mettre…c’est très personnel à chacun. J’y ai mis des lettres, une pour mon mari et deux pour mes fils, une liste de tous les gens à aviser, mon éloge funèbre (Je me suis dit que j’étais la mieux placé pour dire comment j’avais vécu ma vie et ce que j’en avais retiré…), des choix de musique, des rituels à faire (Genre envoyer des ballons dans le ciel…), des papiers importants comme les assurances, le testament, mon acte de naissance etc….

Même si ça faisait 10 ans que je l’avais fait, je me disais que même si ces informations n’étaient pas à jour, ça me soulageait tout de même de savoir qu’il y aurait quelque chose qui resterait advenant mon décès et que mes proches y trouveraient plein d’informations pertinentes sur mes volontés pour ce moment.

Récemment, j’ai eu à quitter pour un voyage outre-mer. J’ai senti l’urgence une 2e fois de mettre à jour ces informations avant de partir. Ce que j’ai fait. J’ai bien sûr écrit de nouveau les lettres de mes fils et en ai ajouté de nouvelles pour mes parents, des amies, mes frères et soeurs etc…j’ai préparé des détails de ma cérémonie, monté un power point de photos à présenter, fourni mes directives funéraires, remis à jour ma liste de gens à prévenir etc….il s’en passe tout de même des choses en 10 ans !

Je suis partie le cœur léger, sachant que tout pouvait arriver et que ce serait ok pour moi, car mes êtres chers auraient des souvenirs à préserver et des informations qui leur permettraient de vivre plus sereinement cette étape, n’ayant pas tout à préparer sous le coup de l’émotion.

Je vous invite à réfléchir à cette suggestion…Et vous qu’y mettriez-vous ?

Choisir de mourir

J’ai récemment eu à accompagner un homme dans un centre d’hébergement; 59 ans et atteint de SLA depuis des années. Un homme qui avait toute sa tête malgré ses limitations physiques…et là se trouvait le problème. Avoir 59 ans et se retrouver en CHSLD avec des gens très hypothéqués, atteints pour plusieurs de démence, grabataires, se voir contraint de suivre un horaire établi, de se conformer à des règles qui briment la liberté…tout cela et plusieurs autres deuils à faire ont eu raison, au fil du temps, de sa détermination à vouloir continuer de vivre.

Mais que fait-on quand on veut que tout cela s’arrête, qu’on demande à mourir et qu’on n’a pas accès à de l’aide médicale à mourir puisqu’on n’est pas en phase terminale de cancer ? On arrête de manger et de boire !…

Un choix marginal et difficile. Un choix qui n’est pas bien vu de l’entourage, incompris de plusieurs, un choix qui dérange et qui fait que tout le monde marche sur des œufs par crainte de représailles.

Je n’ai jamais senti que cet homme était en dépression. Il avait bien réfléchi à cette option, en avait parlé, s’était préparé psychologiquement et avait pris position. Il n’a pas failli à maintenir ses objectifs. Il a arrêté de manger, puis pour un temps, de s’hydrater….il croyait que cela l’amènerait à décéder rapidement…..mais ce ne fut pas le cas, il avait recommencé à boire ici et là et sa fin de vie s’est finalement étirée sur 54 jours. Une fin de vie qui n’arrêtait plus de finir…..et qui demeurait toujours incomprise, prenant tout le monde par surprise.

Comment accompagne- t-on dans un tel contexte? Comme tous les autres…avec beaucoup de respect pour le chemin choisi. Avec compassion aussi pour en être arrivé à s’arrêter sur ce choix. Avec discrétion et délicatesse, car il n’a surtout pas besoin de qui que ce soit pour lui expliquer que la vie vaut la joie d’être vécue et qu’il lui reste peut-être du bon temps encore pour le futur.

C’est la première fois que j’avais à vivre ce contexte particulier au fil de mes accompagnements…mais en fait pour moi, cela a changé peu de choses, car la mort, de quelque façon qu’elle se présente, mérite pour chaque humain d’être accompagnée, et en cela il en était très reconnaissant.

Je crois toujours que l’âme choisi son moment pour prendre son envol et que dans son cas, il y avait assurément encore des choses à régler, des gens à préparer, des décisions à prendre, des choix à faire…et au moment où celle-ci était prête, elle a quitté son corps souffrant en moins de 5 minutes.

Je sais que je n’ai pas fini de vivre toutes sortes de situations dans le contexte de mon métier, mais ce que je ressens chaque fois, c’est l’immense privilège qu’il m’est donné de pouvoir me trouver à leur chevet à ce moment.

 

 

Des détails qui n’en sont pas

Écrit pour le magazine web, « Le portail zen ».
Mars 2017

En décembre dernier, j’ai vécu un accompagnement hors de l’ordinaire; une dame allemande, anglophone, veuve, sans enfant et dont les quelques membres de la famille habitaient à l’étranger.

Ma présence auprès d’elle était donc devenue une grande source de réconfort, non seulement pour elle personnellement, mais pour la famille trop éloignée pour assurer une présence continue, bien que sa condition se détériorait rapidement.

Le soir de son décès, je me suis retrouvée seule à son chevet. J’ai l’habitude auprès d’une personne qui vient de décéder, de faire une toilette au corps, pour redonner à cette personne un peu de dignité, avant le départ pour le salon funéraire.

Durant l’accompagnement, la famille et moi avions pris l’habitude d’échanger régulièrement sur Skype et je savais que ce soir-là n’y manquerait pas non plus. Je savais aussi que cette dame serait incinéré et que ce dernier moment d’au-revoir pourrait à lui seul transformer pour eux toute l’expérience, car difficile de vivre un décès à distance et de ne plus revoir le corps par la suite.

Ce moment de soin au corps peut sembler macabre, pour qui ne l’a jamais vécu… mais c’est en fait un moment sacré dans le parcours de cette expérience et que je trouve fort important. Un moment où on prend vraiment le temps de s’arrêter. J’ai mis de la belle musique, ai choisi des vêtements, ai préparé tout ce dont j’avais besoin pour ce rituel.

Je souhaitais offrir à la famille, une image beaucoup plus sereine, qu’uniquement celui du dernier souffle. J’avoue ce soir-là m’être moi-même dépassée… Elle était tellement belle et son visage était si serein que le personnel venait à tour de rôle dans la chambre constater par eux-mêmes le résultat, tout en lui faisant leurs adieux.

Comme le médecin ne pouvait venir que le lendemain matin authentifier le décès, j’ai passé la nuit auprès du corps avec des bougies et de la musique et ai répondu à de nombreux appels de proches qui avaient appris la nouvelle de son décès. La magie de Skype a permis que je puisse installer le portable, de sorte qu’à tour de rôle, chacun d’eux a pu la voir une dernière fois et lui faire ses adieux.

Moments bien sûr très touchants et très intimes, bien que la plupart lui parlait en allemand et donc que j n’ai pu saisir ce qu’il se disait. Je pouvais toutefois sentir dans leur voix et leur énergie toute leur tristesse et leur affection aussi.

Un ange nommé Hélène Giroux

Article écrit par la journaliste Isabelle Maher et publié sur le blog du site : www.lederniermot.com
Service de rédaction professionnelle de récits nécrologiques permanents.

 

La télé hurlait à pleine tête dans la petite chambre d’hôpital. Pierrette vivait les dernières heures de sa vie. Au chevet de la dame de 76 ans, son fils et sa nièce, Hélène Giroux.

« La voisine de lit se mêlait de notre conversation par-dessus le son de sa télévision. Je ne pouvais pas croire que ma tante allait mourir comme ça », se disait Hélène qui a demandé et obtenu que la patiente soit installée dans un endroit plus paisible de l’hôpital.

« On nous a trouvé un petit coin tranquille. Nous avons fait jouer Les Quatre Saisons de Vivaldi. Elle a attendu à la toute fin et elle est partie. C’était un cadeau de me permettre d’être là », raconte, encore émue, celle qui venait d’accompagner son premier humain dans la mort.

Depuis 10 ans, Hélène Giroux a tenu la main de plus de 200 personnes jusqu’aux derniers moments de leur vie, presque toujours à leur domicile, moins de deux mois avant leur décès. Sa clientèle est âgée entre 54 et 62 ans, des cas de cancer pour la très vaste majorité.

« Chaque fois, c’est différent, chaque humain est unique. Chaque fois, je développe de nouveaux outils. Je ne saurai jamais tout de l’accompagnement des mourants », affirme-t-elle.

Contrairement à la croyance populaire, accompagner des mourants n’a rien de triste ou de déprimant. Les gens ne voient que les mauvais côtés de la mort, observe l’accompagnatrice de 57 ans qui se dit pourtant honorée d’accompagner les gens en fin de vie.

Quand le superficiel prend le bord

« On va à l’essentiel quand le temps est compté. Le superficiel prend le bord lorsque l’on est dans l’urgence, on ne parle pas de la météo… », explique celle qui a d’abord brièvement travaillé comme préposée aux bénéficiaires avant de suivre une formation de bénévole en soins palliatifs à la Maison Albatros.

Hélène Giroux, accompagnatrice

Beaucoup de gens préfèrent mourir à la maison, observe madame Giroux. Les familles des personnes en fin de vie qui font appel aux services de l’accompagnatrice sont souvent complètement démunies, elles ne dorment plus et sont épuisées.

« Certains ne veulent rien savoir d’un accompagnement. D’autres attendent trop avant de demander de l’aide. Pourtant, je suis convaincue que mon travail est essentiel. Après le décès, il reste entre nous un lien spécial, c’est tellement intense », confie-t-elle.

Comme tout le monde, Hélène ignore tout du moment où la mort viendra. C’est toujours surprenant, dit-elle, mais certains signes ne mentent pas. Parfois, des familles se confortent en projetant la personne en fin de vie dans certains projets qui auront lieu dans beaucoup trop longtemps.

« Mon rôle est aussi de les ramener délicatement à la réalité en leur disant de peut-être penser à plus court terme », raconte-t-elle.

Être présent auprès des gens confrontés à la mort ne se résume pas à leur tenir la main, explique Hélène Giroux. Accompagner, c’est aussi rassurer la famille qui affronte ce grand tabou. La mort est une « expérience sacrée » devant laquelle il faut rester humble et suivre le rythme du patient, ajoute-t-elle.

« Notre travail n’est pas de les amener à la sérénité. Ce n’est pas moi qui décide. Le maître, c’est celui qui est en train de mourir. Il faut rester là et lui donner le droit de vivre ce qu’il a à vivre, insiste-t-elle. Dans un accompagnement, il n’y a ni croyance ni religion. On accompagne un humain. »

Après la mort, l’accompagnatrice ne quitte jamais la famille avant que le corps ne soit emmené. C’est elle qui prévient le CLSC pour qu’un médecin vienne constater le décès. Elle communique également avec le salon funéraire désigné afin que les employés viennent chercher la dépouille.

« Je m’occupe de la toilette du défunt, je l’habille selon les volontés de la famille, je range tout le matériel médical et je m’assure que chacun ait la chance de bien saluer l’être aimé. Après le départ du défunt, je refais le lit et j’y dépose une fleur », relate-t-elle.

La mort enrichit la vie

Celle qui a vu mourir tant de gens croit que la mort enrichit la vie, c’est un grand honneur d’assister à la mort de quelqu’un que l’on a aimé, plaide-t-elle. Pourtant, comme bien des gens, Hélène Giroux a déjà eu peur de la mort. Avec le temps, sa vision a bien changé.

« Plus ça va, plus je pense que nous avons tous notre humble part à apporter dans ce monde pour faire une différence. L’âge de notre départ n’a pas d’importance. La mort est un passage, ton corps physique te quitte parce qu’il a fait ce qu’il avait à faire », pense-t-elle.

Accompagner des humains dans la mort et en faire un travail demeure très marginal. C’est aussi le premier service qui prend le bord à l’heure des coupures dans les soins de santé. Il n’est pourtant pas exagéré de dire que c’est un service essentiel, croit Hélène Giroux.

« Peu de gens sont préparés ou informés sur le processus de la mort. Que ce soit des proches aidants au chevet d’un mourant et même des soignants du milieu des CHSLD et des hôpitaux, tous manquent d’outils et de connaissances », observe-t-elle.

Auteure de trois ouvrages sur ce sujet qui la passionne, Hélène Giroux se sent encore souvent comme une « défricheuse ».

Une défricheuse devant la grande faucheuse.

Isabelle Maher

Oser déranger…

Article paru dans le magazine web, « Le portail zen »
Juin 2017

J’ai ajouté une corde à mon arc d’accompagnatrice en fin de vie…soit celle d’officier des cérémonies funéraires, depuis plusieurs mois déjà. Cela veut dire que j’organise avec la famille, une cérémonie laïque (sans ou très peu de religion), qui aura lieu directement au salon funéraire, en hommage à une personne chère décédée. Cette formule plaît de plus en plus car les habitudes ont changées au fil des années.

J’ai toujours senti que mon métier d’accompagnatrice en fin de vie m’invitait en quelque sorte à faire du défrichage auprès des gens qui croisent ma route, car le sujet porte encore sur son dos, de nombreux préjugés et tabous.

Je me rappelle fort bien des premières années où les gens me posaient des questions sur mon métier et mon désir à ce moment de ne pas les bousculer, en abordant ce sujet avec eux, sachant très bien qu’ils en seraient perturbés, car ma vision des choses bouscule ce qu’on a appris et ce qu’on entend encore concernant la mort.

Alors oui, là aussi les choses ont changées pour moi…maintenant, je m’en fais un devoir. Pas une obligation, mais je me sens fortement interpellée à leur partager ce que j’ai appris aux chevets des mourants et comment ces enseignements ont transformé mes perceptions.

Quand je prépare mes cérémonies, bien que je respecte leurs valeurs, croyances et visions, j’ose ouvrir sur le sujet, mais d’une manière qu’ils n’ont pas encore entendu parler. Je sais que cela surprends parfois, mais je suis aussi touchée de constater à la suite de leurs commentaires, que loin d’empêcher la tristesse de s’exprimer et le deuil de se vivre, mon approche différente et plus ouverte, permet de mettre davantage de lumière sur la situation et de nourrir l’espoir pour ceux et celles qui restent.

Hélène Giroux

Choisir de côtoyer la mort

J’ai choisi comme travail d’accompagner des mourants qui souhaitent terminer leurs jours à la maison. La plupart des gens que je croise sur ma route me demandent pourquoi. Pourquoi œuvrer dans cette sphère d’activité chargée d’émotions de toutes sortes ? La réponse est bien simple en fait : j’aime l’être humain. Je crois que chaque personne possède ses richesses intérieures propres, ce qui en fait une personne unique. Cette rareté invite d’autant plus à « prendre soin », à chérir et à exprimer de la gratitude pour avoir le bonheur de cette proximité avec l’autre… du cadeau de sa vie.

Chaque personne que j’accompagne et chaque famille qui entoure ce malade m’enrichit de cette unicité. Et même lorsqu’il y a des situations plus difficiles, je ressors toujours grandie de ces expériences, car accompagner des mourants, c’est un exercice quotidien de cheminement personnel, de questionnement, de prise de conscience sur le sens même de ma propre existence.

Il faut dire que les émotions que je ressens à leur contact sont très différentes de ce qu’éprouvent la plupart des gens à la perte d’un des leurs. Bien que j’aie développé des liens avec le malade, je ne partage pas avec ce dernier le même attachement émotif que celui de ses proches et qui rend leur deuil si difficile.

La mort fait partie de la vie, nous le savons tous intellectuellement… mais peu de gens acceptent cette idée que la vie a une fin. La réalité toutefois, c’est que la mort nous attend tous à notre heure et cela sans exception. Nous verrons des gens mourir autour de nous, nous perdrons des proches et notre propre vie se terminera elle aussi, la vie poursuivant sa route pour ceux et celles dont l’heure n’est pas encore arrivée.

Un tabou qui persiste

Je suis toujours surprise de constater que bien que la notion de finitude fasse partie intégrante de notre parcours ici bas, la mort continue encore d’être un sujet tabou ; peu de gens osent échanger sur le sujet ou aborder franchement la question. On a tendance à ne voir dans la mort que les aspects négatifs. Je vois les choses différemment. Oui il y des aspects difficiles : la déchéance physique, la dépendance, la souffrance… Mais il faut admettre que ces bouleversements font aussi partie de l’expérience, de cette étape finale de la vie.

La tristesse sera toujours présente lorsqu’un proche quittera cette vie, mais cela fait également partie de l’expérience. Je reconnais que la vie est une suite de pertes et de lâcher-prise, mais que c’est également ce qui lui donne toute sa saveur. Je conçois que s’attacher et créer des liens veut aussi dire risquer de perdre, mais mieux vaut avoir connu et perdu que de ne pas avoir goûté à tous ces bonheurs. Prendre conscience que cette réalité se produira un jour ou même demain, devrait en fait nous amener à vivre davantage dans l’instant présent et à chérir ce que nous avons aujourd’hui.

Apprendre qu’une personne chère se prépare à franchir cette étape finale permet, pour un moment, d’arrêter quelque peu le tourbillon de la vie pour se consacrer à l’essentiel : l’amour ou l’affection que nous portons à cette personne. Dommage toutefois que nous devions attendre un tel bouleversement pour réaliser à quel point la vie est fragile. Lorsqu’on tient les choses ou les gens pour acquis, on arrive à en oublier ce qui les rend aussi précieux à nos yeux.

Lorsque les patients que j’accompagne décèdent, je conserve précieusement dans mon coeur tous les petits bonheurs et les instants privilégiés que nous avons partagés et qui ont enrichi ma vie, peu importe le temps qui nous fut donné. Ce sont des moments que même la mort ne peut m’enlever, car ils resteront gravés dans ma mémoire comme d’inestimables présents.

Le plus beau cadeau que j’ai reçu en accompagnant, c’est étrangement de me sentir plus vivante encore et de chérir cette vie qui est mienne maintenant. Il peut paraître étrange de constater que ce sont les mourants qui enseignent à mieux vivre, mais difficile de ne pas se sentir interpellée par leur authenticité et leur lucidité face au bilan qu’ils font de leur parcours terrestre.

La mort se prépare

J’ai appris également une autre leçon très importante : la mort se prépare. Comment? Simplement en profitant du temps présent. Si je m’accomplis comme personne, si je développe mes forces, si je nourris mes passions, si je réalise mes rêves, si j’apprends de mes erreurs, si j’entretiens des rapports authentiques avec les gens que je croise sur ma route, si je sème l’amour partout sur mon passage… mourir ne pourra que se vivre différemment, comblée et heureuse d’avoir accompli ma mission de vie. Cette riche leçon d’une simplicité désarmante est devenue mon leitmotiv.

Mourir est notre destinée à chacun et celle-ci est inscrite depuis notre premier jour de vie sur terre. À cela on n’y peut rien. Mais on peut par contre choisir comment on voudra vivre cette vie et l’influence qu’elle aura sur celle d’autrui, à travers notre expérience. Modifier cette façon de regarder les choses pourrait changer notre vision de la dernière étape de notre parcours, mais plus encore du temps qui nous est donné de laisser notre trace en ce monde.

Une expérience à partager

Je me sens interpellée à briser des barrières en regard à cette réalité de la mort dans notre existence. Parce que j’ai le privilège d’accompagner, j’ai l’opportunité d’être confrontée à toutes ces questions dans mon quotidien.

Nous aurions tous intérêt comme mortel à ne pas fuir cette situation lorsqu’elle se présente sur notre route, mais plutôt à ouvrir cette porte vers l’inconnu, même si cela est difficile et exigeant. Pour l’avoir expérimentée à maintes reprises, je peux affirmer que malgré la tristesse, des cadeaux précieux nous sont offerts, modifiant considérablement notre vision de la vie par la suite.

Au même titre que la naissance, la mort fait partie d’une étape charnière et tout aussi sacrée de notre existence. Je suis convaincue que notre raison d’être ici bas c’est l’amour, mais aimer c’est également apprendre à se détacher, ce qui ne signifie pas oublier… car l’amour lui ne meurt jamais.

Par Hélène Giroux
www.findevie.jimdo.com
hegir@hotmail.com
Publié dans la revue Profil

Coeur d’enfant

Les enfants nous fascinent à peu près tous. Nous admirons leur spontanéité, leur fraîcheur et leur candeur. Ils n’hésitent pas à dire ce qu’ils pensent, à agir sur le coup de l’impulsivité. Ils sont branchés directement sur l’instant présent, ne se préoccupent pas de ce que pensent les autres et se laissent porter par leurs élans du cœur. C’est comme si le temps pour eux s’était arrêté et qu’ils vivaient dans un monde parallèle au nôtre, dans un espace où la magie et le mystère en font partie.

Je me rappelle que toute petite, vers l’âge d’environ 5-6 ans, je m’allongeais sur le trottoir et pouvait observer pendant des heures, de simples fourmis aller et venir dans leur nid. Je ne voyais pas le temps passer et était littéralement fascinée par ce qu’il m’était donné d’observer. C’était comme si j’entrais dans leur univers et que j’en faisais partie.

Suffit-il de grandir pour perdre cette connexion avec l’âme ? Je le crois de moins en moins. En fait cette petite partie de nous qui se nourrit dans l’imaginaire, la créativité et la joie de vivre est toujours quelque part tapie à l’intérieur de nous, dans un lieu secret qui cherche seulement à se protéger du regard d’autrui…car il n’est pas toujours bien vu qu’un adulte s’amuse comme le ferait un enfant.

Côtoyer des petits permet de faire des choses qu’un adulte ne fait pas souvent seul , par crainte du ridicule : faire un bonhomme de neige, regarder voler un cerf-volant, faire des bulles ou construire un château de sable sur la plage, lancer des cailloux dans l’eau…..

Je permets maintenant beaucoup plus souvent à mon enfant intérieur de s’exprimer, de vivre de ses passions, de se nourrir d’un peu de folie et c’est tellement agréable ! Je réalise en fait qu’il est davantage nécessaire de le libérer de ses carcans et de ses préjugés, alors que je suis dans le monde adulte qui permet peu cette spontanéité et ce regard plus léger sur l’existence.

Il n’y a pas d’âge pour retrouver son cœur d’enfant…il ne demande qu’à éveiller ma conscience sur les bienfaits qu’un peu de magie peut apporter dans ma vie. On a l’âge de son cœur, pas celui des années sur un calendrier…alors vivement les bulles et les jardins de fées !

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article en juillet 2016

Des détails qui n’en sont pas

En décembre dernier, j’ai vécu un accompagnement hors de l’ordinaire; une dame allemande, anglophone, veuve, sans enfant et dont les quelques membres de la famille habitaient à l’étranger.

Ma présence auprès d’elle était donc devenue une grande source de réconfort, non seulement pour elle personnellement, mais pour la famille trop éloignée pour assurer une présence continue, bien que sa condition se détériorait rapidement.

Le soir de son décès, je me suis retrouvée seule à son chevet. J’ai l’habitude auprès d’une personne qui vient de décéder, de faire une toilette au corps, pour redonner à cette personne un peu de dignité, avant le départ pour le salon funéraire.

Durant l’accompagnement, la famille et moi avions pris l’habitude d’échanger régulièrement sur Skype et je savais que ce soir-là n’y manquerait pas non plus. Je savais aussi que cette dame serait incinéré et que ce dernier moment d’au-revoir pourrait à lui seul transformer pour eux toute l’expérience, car difficile de vivre un décès à distance et de ne plus revoir le corps par la suite.

Ce moment de soin au corps peut sembler macabre,  pour qui ne l’a jamais vécu…mais c’est en fait un moment sacré dans le parcours de cette expérience et que je trouve fort important. Un moment où on prend vraiment le temps de s’arrêter. J’ai mis de la belle musique, ai choisi des vêtements, ai préparé tout ce dont j’avais besoin pour ce rituel.

Je souhaitais offrir à la famille, une image beaucoup plus sereine, qu’uniquement celui du dernier souffle. J’avoue ce soir-là m’être moi-même surpassée…. Elle était tellement belle et son visage était si serein que le personnel venait à tour de rôle dans la chambre constater par eux-mêmes le résultat, tout en lui faisant leurs adieux.

Comme le médecin ne pouvait venir que le lendemain matin authentifier le décès, j’ai passé la nuit auprès du corps avec des bougies et de la musique et ai répondu à de nombreux appels de proches qui avaient appris la nouvelle de son décès. La magie de Skype a permis que je puisse installer le portable, de sorte qu’à tour de rôle, chacun d’eux a pu la voir une dernière fois et lui faire ses adieux.

Moments bien sûr très touchants et très intimes, bien que la plupart lui parlait en allemand et donc qu’à part le ton de la voix, je ne pouvais savoir ce qu’ils se disaient. Mais combien reconnaissants ils ont été ! D’abord de savoir que je passais la nuit auprès du corps, puis de savoir que j’avais pris ce temps pour bien préparer cet ultime rendez-vous.

Ce geste en apparence bien simple ne l’était pas du tout à leurs yeux. Préparer le corps aurait pu sembler un détail, car le salon refait habituellement le travail. Mais pour le travail du deuil de la famille, je trouve essentiel de poser ces gestes qui sont toujours appréciés et très réconfortants.

Hélène Giroux
Accompagnatrice en fin de vie
Article écrit en mars 2017

Bouleversement

La vie est fragile…j’ai beau côtoyer la mort régulièrement dans mon métier, elle arrive encore à me surprendre. Il faut dire que dans mon quotidien, cette mort est attendue et que la cause est également connue : cancer, maladie dégénérative ou parfois vieillesse.

Une tante que j’aime beaucoup a tenté de s’enlever la vie il y a tout juste une semaine, en se jetant du haut d’un viaduc…ça m’a donné tout un choc…surtout qu’on s’était écrit à Pâques. J’ai été tout aussi bouleversée d’apprendre qu’elle avait survécu à cette terrible chute et qu’à sa détresse s’ajouteraient maintenant, une mâchoire, des chevilles et une colonne, fracturés à plusieurs endroits.

Dans le coma après la chute et dans l’incertitude de savoir si elle survivrait, j’ai ressenti l’urgence d’aller la voir pour l’assurer de ma présence chaleureuse et lui transmettre mon énergie d’amour…il n’y avait pas vraiment d’autre chose à faire.

J’ai subi un 2e choc en constatant qu’elle était sortie du coma et qu’elle savait désormais qu’elle avait raté sa tentative, avec tout ce que ça impliquait physiquement et psychologiquement. J’ai perçu sa détresse et son désarroi…j’ai touché au cœur de l’humain dans sa plus grande fragilité.

Elle a dit à son frère qu’elle ne souhaitait pas vivre. Le chemin sera long et difficile et j’ai une pensée pour elle tous les jours…. Pourrais-je vous demander d’en avoir une aussi ? On ne pourra jamais donner trop d’amour et je sais qu’elle en aura bien besoin.

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article écrit en mai 2017

L’amour est partout !

Ma perspective sur les petites choses de la vie a bien changé depuis que je côtoie la mort. Je crois profondément que l’amour est en plein cœur de nos vies, que c’est ce qui lui donne une direction, une raison d’être et que c’est aussi ce qui donne un sens à la mort quand tout le reste devient futile.

Mais où donc voit-on cela dans un tel contexte?

.Je le vois dans le regard plein de tendresse du conjoint ou des proches au chevet du malade
…dans un sourire complice partagé le temps d’un moment d’éveil
…dans une main qui tente de réconforter celle qui s’est fragilisée
…dans les souvenirs que les familles se partagent et qui soudent davantage encore leurs liens d’affection
…dans le soutien de l’entourage
…dans une couverture posée doucement sur le malade et qui l’enveloppe tendrement
…dans une larme qui coule doucement sur la joue et qu’on essuie avec compassion
…dans un plat maison préparé pour faire plaisir même en sachant que le malade n’en prendra peut-être que deux bouchées….

Mais je vois aussi l’amour dans :

…les rayons du soleil qui entrent par la fenêtre et qui réchauffent
…la pluie qui chante une douce mélodie et qui invite à l’intériorité
…les flocons de neige qui tombent tout doucement et qui raniment notre cœur d’enfant
…le vent qui fait danser joliment les arbres
…les feuilles qui se colorent de teintes chaudes à l’automne pour le plaisir de nos yeux
…le chat qui ronronne alors qu’on le caresse et qui soutient de sa présence attentive
…le frais parfum d’un vêtement qu’on vient de laver et qui sent bon la maison
Etc….

Cette liste pourrait s’allonger encore et encore et j’aurais sûrement besoin de plusieurs tomes si je décidais de les répertorier dans un livre. Ces petites choses, on peut les observer tous les jours et pas seulement au chevet d’une personne dont la vie s’achève…le but du voyage, ce n’est pas d’arriver à destination, c’est le voyage lui-même et ce qu’on en fait…mais nous l’oublions trop souvent.

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article écrit en novembre 2016