Choisir de mourir

J’ai récemment eu à accompagner un homme dans un centre d’hébergement; 59 ans et atteint de SLA depuis des années. Un homme qui avait toute sa tête malgré ses limitations physiques…et là se trouvait le problème. Avoir 59 ans et se retrouver en CHSLD avec des gens très hypothéqués, atteints pour plusieurs de démence, grabataires, se voir contraint de suivre un horaire établi, de se conformer à des règles qui briment la liberté…tout cela et plusieurs autres deuils à faire ont eu raison, au fil du temps, de sa détermination à vouloir continuer de vivre.

Mais que fait-on quand on veut que tout cela s’arrête, qu’on demande à mourir et qu’on n’a pas accès à de l’aide médicale à mourir puisqu’on n’est pas en phase terminale de cancer ? On arrête de manger et de boire !…

Un choix marginal et difficile. Un choix qui n’est pas bien vu de l’entourage, incompris de plusieurs, un choix qui dérange et qui fait que tout le monde marche sur des œufs par crainte de représailles.

Je n’ai jamais senti que cet homme était en dépression. Il avait bien réfléchi à cette option, en avait parlé, s’était préparé psychologiquement et avait pris position. Il n’a pas failli à maintenir ses objectifs. Il a arrêté de manger, puis pour un temps, de s’hydrater….il croyait que cela l’amènerait à décéder rapidement…..mais ce ne fut pas le cas, il avait recommencé à boire ici et là et sa fin de vie s’est finalement étirée sur 54 jours. Une fin de vie qui n’arrêtait plus de finir…..et qui demeurait toujours incomprise, prenant tout le monde par surprise.

Comment accompagne- t-on dans un tel contexte? Comme tous les autres…avec beaucoup de respect pour le chemin choisi. Avec compassion aussi pour en être arrivé à s’arrêter sur ce choix. Avec discrétion et délicatesse, car il n’a surtout pas besoin de qui que ce soit pour lui expliquer que la vie vaut la joie d’être vécue et qu’il lui reste peut-être du bon temps encore pour le futur.

C’est la première fois que j’avais à vivre ce contexte particulier au fil de mes accompagnements…mais en fait pour moi, cela a changé peu de choses, car la mort, de quelque façon qu’elle se présente, mérite pour chaque humain d’être accompagnée, et en cela il en était très reconnaissant.

Je crois toujours que l’âme choisi son moment pour prendre son envol et que dans son cas, il y avait assurément encore des choses à régler, des gens à préparer, des décisions à prendre, des choix à faire…et au moment où celle-ci était prête, elle a quitté son corps souffrant en moins de 5 minutes.

Je sais que je n’ai pas fini de vivre toutes sortes de situations dans le contexte de mon métier, mais ce que je ressens chaque fois, c’est l’immense privilège qu’il m’est donné de pouvoir me trouver à leur chevet à ce moment.

 

 

Prise de position

La loi sur l’aide médicale à mourir suscite beaucoup de questionnements et je n’en suis pas à l’abri, puisque j’œuvre dans ce champ d’activité. Il est donc nécessaire aussi que je me positionne, que j’en fasse une réflexion.

J’ai d’ailleurs été confrontée récemment à cette délicate question. Une dame m’a demandé si j’accompagnerais quelqu’un qui souhaite par exemple, se laisser mourir en arrêtant de manger…..

La prise de position sur les soins palliatifs est de préserver la vie jusqu’au bout, d’utiliser tous les moyens disponibles pour amoindrir les symptômes et de tenter de préserver une certaine qualité de vie pour le temps qui reste, tout en étant présent et réconfortant pour les proches.  Je partage cette vision.

Mais est-ce que ça veut dire pour autant qu’une personne n’ayant pas choisi cette option devrait mourir seule, sans support, sans aide et sans personne pour lui tenir la main au moment du départ ? Je ne le crois pas.

Malgré ma position sur cette étape sacrée de notre parcours et le fait que je respecte profondément la vie et l’être humain, je ne pourrais, en mon âme et conscience, abandonner une personne à elle-même à un moment aussi important de son existence.

Et parce que justement j’aime l’humain, je serais là aussi, pour lui tenir la main, l’écouter, la réconforter dans le respect de son choix, tout comme je le ferais pour une personne qui se meurt d’un cancer ou d’une maladie dégénérative, même si le choix par lui-même n’entre pas dans ma vision des choses. Accompagner c’est suivre l’autre où il est rendu, pas indiquer le chemin…

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure, conférencière
Écrit en mai 2016