Choisir de mourir

J’ai récemment eu à accompagner un homme dans un centre d’hébergement; 59 ans et atteint de SLA depuis des années. Un homme qui avait toute sa tête malgré ses limitations physiques…et là se trouvait le problème. Avoir 59 ans et se retrouver en CHSLD avec des gens très hypothéqués, atteints pour plusieurs de démence, grabataires, se voir contraint de suivre un horaire établi, de se conformer à des règles qui briment la liberté…tout cela et plusieurs autres deuils à faire ont eu raison, au fil du temps, de sa détermination à vouloir continuer de vivre.

Mais que fait-on quand on veut que tout cela s’arrête, qu’on demande à mourir et qu’on n’a pas accès à de l’aide médicale à mourir puisqu’on n’est pas en phase terminale de cancer ? On arrête de manger et de boire !…

Un choix marginal et difficile. Un choix qui n’est pas bien vu de l’entourage, incompris de plusieurs, un choix qui dérange et qui fait que tout le monde marche sur des œufs par crainte de représailles.

Je n’ai jamais senti que cet homme était en dépression. Il avait bien réfléchi à cette option, en avait parlé, s’était préparé psychologiquement et avait pris position. Il n’a pas failli à maintenir ses objectifs. Il a arrêté de manger, puis pour un temps, de s’hydrater….il croyait que cela l’amènerait à décéder rapidement…..mais ce ne fut pas le cas, il avait recommencé à boire ici et là et sa fin de vie s’est finalement étirée sur 54 jours. Une fin de vie qui n’arrêtait plus de finir…..et qui demeurait toujours incomprise, prenant tout le monde par surprise.

Comment accompagne- t-on dans un tel contexte? Comme tous les autres…avec beaucoup de respect pour le chemin choisi. Avec compassion aussi pour en être arrivé à s’arrêter sur ce choix. Avec discrétion et délicatesse, car il n’a surtout pas besoin de qui que ce soit pour lui expliquer que la vie vaut la joie d’être vécue et qu’il lui reste peut-être du bon temps encore pour le futur.

C’est la première fois que j’avais à vivre ce contexte particulier au fil de mes accompagnements…mais en fait pour moi, cela a changé peu de choses, car la mort, de quelque façon qu’elle se présente, mérite pour chaque humain d’être accompagnée, et en cela il en était très reconnaissant.

Je crois toujours que l’âme choisi son moment pour prendre son envol et que dans son cas, il y avait assurément encore des choses à régler, des gens à préparer, des décisions à prendre, des choix à faire…et au moment où celle-ci était prête, elle a quitté son corps souffrant en moins de 5 minutes.

Je sais que je n’ai pas fini de vivre toutes sortes de situations dans le contexte de mon métier, mais ce que je ressens chaque fois, c’est l’immense privilège qu’il m’est donné de pouvoir me trouver à leur chevet à ce moment.

 

 

Des détails qui n’en sont pas

Écrit pour le magazine web, « Le portail zen ».
Mars 2017

En décembre dernier, j’ai vécu un accompagnement hors de l’ordinaire; une dame allemande, anglophone, veuve, sans enfant et dont les quelques membres de la famille habitaient à l’étranger.

Ma présence auprès d’elle était donc devenue une grande source de réconfort, non seulement pour elle personnellement, mais pour la famille trop éloignée pour assurer une présence continue, bien que sa condition se détériorait rapidement.

Le soir de son décès, je me suis retrouvée seule à son chevet. J’ai l’habitude auprès d’une personne qui vient de décéder, de faire une toilette au corps, pour redonner à cette personne un peu de dignité, avant le départ pour le salon funéraire.

Durant l’accompagnement, la famille et moi avions pris l’habitude d’échanger régulièrement sur Skype et je savais que ce soir-là n’y manquerait pas non plus. Je savais aussi que cette dame serait incinéré et que ce dernier moment d’au-revoir pourrait à lui seul transformer pour eux toute l’expérience, car difficile de vivre un décès à distance et de ne plus revoir le corps par la suite.

Ce moment de soin au corps peut sembler macabre, pour qui ne l’a jamais vécu… mais c’est en fait un moment sacré dans le parcours de cette expérience et que je trouve fort important. Un moment où on prend vraiment le temps de s’arrêter. J’ai mis de la belle musique, ai choisi des vêtements, ai préparé tout ce dont j’avais besoin pour ce rituel.

Je souhaitais offrir à la famille, une image beaucoup plus sereine, qu’uniquement celui du dernier souffle. J’avoue ce soir-là m’être moi-même dépassée… Elle était tellement belle et son visage était si serein que le personnel venait à tour de rôle dans la chambre constater par eux-mêmes le résultat, tout en lui faisant leurs adieux.

Comme le médecin ne pouvait venir que le lendemain matin authentifier le décès, j’ai passé la nuit auprès du corps avec des bougies et de la musique et ai répondu à de nombreux appels de proches qui avaient appris la nouvelle de son décès. La magie de Skype a permis que je puisse installer le portable, de sorte qu’à tour de rôle, chacun d’eux a pu la voir une dernière fois et lui faire ses adieux.

Moments bien sûr très touchants et très intimes, bien que la plupart lui parlait en allemand et donc que j n’ai pu saisir ce qu’il se disait. Je pouvais toutefois sentir dans leur voix et leur énergie toute leur tristesse et leur affection aussi.

Bouleversement

La vie est fragile…j’ai beau côtoyer la mort régulièrement dans mon métier, elle arrive encore à me surprendre. Il faut dire que dans mon quotidien, cette mort est attendue et que la cause est également connue : cancer, maladie dégénérative ou parfois vieillesse.

Une tante que j’aime beaucoup a tenté de s’enlever la vie il y a tout juste une semaine, en se jetant du haut d’un viaduc…ça m’a donné tout un choc…surtout qu’on s’était écrit à Pâques. J’ai été tout aussi bouleversée d’apprendre qu’elle avait survécu à cette terrible chute et qu’à sa détresse s’ajouteraient maintenant, une mâchoire, des chevilles et une colonne, fracturés à plusieurs endroits.

Dans le coma après la chute et dans l’incertitude de savoir si elle survivrait, j’ai ressenti l’urgence d’aller la voir pour l’assurer de ma présence chaleureuse et lui transmettre mon énergie d’amour…il n’y avait pas vraiment d’autre chose à faire.

J’ai subi un 2e choc en constatant qu’elle était sortie du coma et qu’elle savait désormais qu’elle avait raté sa tentative, avec tout ce que ça impliquait physiquement et psychologiquement. J’ai perçu sa détresse et son désarroi…j’ai touché au cœur de l’humain dans sa plus grande fragilité.

Elle a dit à son frère qu’elle ne souhaitait pas vivre. Le chemin sera long et difficile et j’ai une pensée pour elle tous les jours…. Pourrais-je vous demander d’en avoir une aussi ? On ne pourra jamais donner trop d’amour et je sais qu’elle en aura bien besoin.

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article écrit en mai 2017

L’essentiel

J’aime la vie et pourtant je côtoie la mort tous les jours à travers mon métier d’accompagnatrice auprès des personnes en fin de vie. Ça peut sembler une grande contradiction et une notion difficile à saisir de l’extérieur, et pourtant je ne cesse de constater à quel point ces 2 concepts sont interreliés, combien aussi, qu’on parle de l’un ou de l’autre, c’est toujours de la vie dont il est question.

Pourquoi? Parce que quand le temps est compté, on entre rapidement dans l’essentiel et ce sont toutes les petites choses du quotidien qui prennent de la valeur, alors que dans la réalité et la rapidité du quotidien, on ne les voit plus ou n’y accordons pas beaucoup d’attention.

J’apprends donc à leur chevet à m’y attarder :

.des oiseaux qui chantent deviennent une symphonie…
.des flocons de neige qui tombent, un magnifique spectacle…
.une toile d’araignée, une œuvre d’art…
.une fleur qui s’ouvre, un miracle de la nature…
.un simple sourire, la plus belle caresse qui soit….
.une odeur de pain grillé, et des souvenirs qui remontent comme un film…
Et combien d’autres choses encore !

Mais pourquoi devrions-nous attendre d’être arrivé au bout du voyage pour prendre conscience que ces richesses sont là tout autour de nous, tous les jours, qu’elles ne demandent qu’à ce qu’on s’y arrête pour déposer un peu de magie dans nos vies? Une belle réflexion que je vous propose…

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article écrit en avril 2016

Le plan divin

La vie nous enseigne de nombreuses leçons à travers toutes les expériences qui traversent notre route. De toutes celles vécues jusqu’à ce jour sur mon parcours, ce sont étrangement les plus difficiles qui ont été les plus marquantes et les plus significatives !

Je pense entre autre à un incendie  qui s’est produit, alors que mes 2 fils tous jeunes étaient encore à l’école primaire. Un événement qui a eu sa suite de répercussions difficiles et exigeantes sur plus de 5 ans : chômage, aide sociale, demande de paniers de nourriture, faillite…pour ne nommer que celles-là.

Étrangement, bien que je ne souhaite à personne de devoir traverser de tels obstacles sur leur route, je suis reconnaissante aujourd’hui de ce que chacune de ces expériences a eu comme impacts positifs sur moi, de ce qu’elles m’ont enseigné, de quelle manière elles m’ont transformée.

Je réalise que malgré notre vision souvent limitative sur les choses, tout est parfaitement bien orchestré par l’univers et le choix de notre âme de vivre ces expériences sur notre route. Ça peut paraître étrange à dire, mais elles ont été très formatrices pour mon cheminement personnel.

Tout se met toujours en place pour nous amener là où on doit exactement être. Si je regarde cet événement précis dans ma vie, il m’a entre autre enseigné la résilience et le lâcher-prise. Je peux aujourd’hui  prendre conscience que ces forces d’être me sont extrêmement utiles dans mon métier d’accompagner les gens en fin de vie, car je dois tous les jours les utiliser pour vivre sereinement ces départs vers l’autre rive.

Je ne peux qu’éprouver de la gratitude pour la perfection de mon plan divin!

Hélène Giroux
Accompagnatrice
Article écrit en mars 2016

Accompagner dans la période des fêtes

La période des fêtes est habituellement un moment de réjouissances, de célébrations, de réunions de famille, de rires et de joies. Est-ce possible de traverser ce temps de l’année dans la sérénité si nous accompagnons un proche qui se prépare à mourir? De ne pas garder que de mauvais souvenirs qui feront de tous les autres Noël des moments difficiles à vivre ?

J’y crois…mais cela dépend beaucoup de notre façon de regarder la situation, de notre attitude dans les circonstances. Nous ne pouvons rien changer à ce qui arrive, mais pourquoi ne pas utiliser sa créativité pour créer des moments authentiques qui resteront gravés pendant cette étape, mais aussi après le décès. Le temps des Fêtes est surtout devenu au fil des ans, une période de stress, de consommation et les valeurs profondes ont malheureusement perdues leur signification.

Vous avez cette opportunité auprès de votre proche ou d’un malade dont vous avez soin, de remettre ces valeurs à la bonne place. Une présence aimante et réconfortante est bien plus précieuse qu’un présent offert et l’occasion vous est donnée de vous retrouver auprès du malade et de lui transmettre tout l’amour que vous éprouvez à son égard, de passer du temps de qualité à son chevet.

Si c’est encore possible, demandez-lui ce qui lui ferait plaisir; un petit sapin dans sa chambre, un chocolat chaud, écouter de la musique, un biscuit fait maison, un plat qu’il aime particulièrement, un film qu’il affectionne, regarder la neige tomber par la fenêtre…..Et pourquoi ne pas chanter ensemble des cantiques qui lui rappelleront de beaux souvenirs…Les émotions de joie et de plaisir semblent être inappropriées  dans un tel contexte, mais ces temps d’arrêts dans le cours de la maladie sont très salutaires pour chacun pour la suite des choses. Le film « Oscar et la dame Rose » nous propose à cet effet une très belle réflexion qui vous inspirera assurément à retirer du positif de chaque situation.

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure, conférencière
Écrit en déc.2015

Entrevue avec Hélène Giroux, Million-Être

Cette semaine je vous présente Hélène Giroux, qui après avoir été abonnée au blogue depuis un bon moment, s’est reconnue comme une Million-être et j’en suis honoré. J’ai été touché par son partage, sa mission de vie comme accompagnatrice en fin de vie.

Il me fait plaisir de vous inviter à entrer dans son univers, et peut-être aussi le vôtre puisque la mort fait aussi partie de la vie et que de vivre le sens de sa vie permet de donner aussi un sens à la mort.

Hélène Giroux 

 


À ce jour, quelle est la contribution qui vous a procuré la plus grande satisfaction et qui, selon vous, contribue à créer un monde meilleur?

J’accompagne des gens en fin de vie qui souhaitent terminer leurs jours à la maison et cette vocation donne tout un sens à mon existence. Le patient a besoin de soins, d’écoute et de chaleur humaine, mais la famille éprouvée nécessite également d’être secondée, épaulée et réconfortée dans ces moments difficiles de la perte prochaine d’un être cher. Ce rôle d’accompagnatrice est donc fort apprécié des familles que je côtoie, car leur implication émotive empêche bien souvent d’avoir un regard objectif sur la situation. Par contre, guidée à travers cette expérience, la famille peut apprendre à apprivoiser chacune des étapes conduisant vers la mort. Je sais que j’ai accompli ma mission lorsque après le décès, les proches me témoignent que je leur ai permis de transformer cette période insécurisante en expérience positive malgré la tristesse. Cela va même parfois jusqu’à modifier leur vision de la mort. De se sentir ainsi accompagnés leur permet également de traverser les étapes du deuil plus sereinement. Comme être humain, ressentir cette connection profonde à un moment aussi sacré de l’existence me comble de gratitude.

Quel événement, quelle personne ou prise de conscience vous a incité à vous engager de cette façon et qu’est-ce que ça vous a apporté?

Alors que je ne travaillais pas dans cette sphère d’activité, une tante proche a reçu un diagnostic de tumeur cérébrale et j’ai tout de suite eu le désir de l’accompagner. Cette décision venait du cœur, mais je n’avais aucune idée à ce moment à quel point je me sentirais interpellée par ce métier hors de l’ordinaire. J’ai donc réorienté ma carrière et suis allé suivre une formation de préposée pour être en mesure de pouvoir donner des soins. Après l’obtention de mon diplôme, déçue par les milieux de santé traditionnels, j’ai rapidement choisi d’œuvrer spécifiquement auprès des mourants; métier davantage en harmonie avec les valeurs qui me sont chères et qui s’attardent à l’humain plutôt que simplement à la maladie. Côtoyer les mourants me permet de demeurer dans l’instant présent, de mettre en valeur ce qui m’importe dans la vie, d’avoir des rapports plus authentiques avec les gens . C’est donc un métier extraordinaire qui me rend très heureuse !

Que souhaitez-vous que l’on dise de vous après votre passage terrestre?

Que j’ai déposé des semences d’amour partout sur mon passage et que j’ai fait une différence dans la vie des gens qui ont eu le bonheur de croiser ma route.

Avez-vous créé des œuvres littéraires, musicales, artistiques ou autres que vous aimeriez faire découvrir à nos lecteurs? (énumérez les principales seulement)

Pour aider les gens à démystifier et à apprivoiser ce sujet difficile, j’ai écris et fait publier un livre intitulé, « Le privilège d’accompagner…choisir de côtoyer la mort », aux Éditions La Plume d’Oie. Ce projet est un grand rêve que je caressais depuis longtemps et que j’ai réalisé après 2 ans de travail d’écriture. Je constate en pratiquant ce métier que beaucoup de gens se sentent interpellés par le sujet et qu’ils ont toujours de nombreuses questions à me poser. Il faut dire que même en 2012, la mort reste encore un sujet tabou que peu de gens osent aborder ouvertement et que lorsqu’il en est question, c’est plutôt dans des termes sombres. Parce que j’ai le privilège de côtoyer les mourants dans mon quotidien, je suis à même de pouvoir échanger sur la question en faisant davantage ressortir les aspects positifs….car oui, il y en a ! Ce livre offre la possibilité aux gens d’ouvrir une porte dans une direction inexplorée pour pouvoir ensuite percevoir les choses avec un regard neuf. Bien que cet ouvrage parle de la mort, c’est bien plus d’un hymne à la vie dont il est question.

Y-a-t-il un message particulier que vous aimeriez transmettre de plus?

J’ai conscience que pour beaucoup de gens, la mort est un sujet difficile à aborder…mais j’aimerais leur dire que la mort peut s’apprivoiser. Au même titre que la naissance, elle fait partie des étapes que nous aurons à franchir sur notre parcours, qui que nous soyons. J’ai moi-même appris qu’apprivoiser la mort, c’est aussi apprendre à vivre…aussi étrangement que cela puisse paraître.
Merci Hélène de contribuer à un monde meilleur – Daniel Giguère coach (sept.2012)

Quelles sont les coordonnées pour vous rejoindre?

Nom : Hélène Giroux
Courriel :  hegir@hotmail.com
www.facebook.com/accompagnementetsoins

L’abondance dans l’accompagnement

Ces deux mots peuvent sembler incompatibles. Et pourtant, j’ai le privilège de vivre  tous les jours l’abondance, dans chaque accompagnement que je fais. Car oui, j’ai choisi cette vocation plutôt particulière, mais combien gratifiante et élevante même, devrais-je dire, de me trouver auprès des personnes qui se préparent à quitter cette vie.

La mort est davantage perçue comme quelque chose qu’on nous retire, pas qu’on ajoute, à notre parcours terrestre. Et il faut dire qu’on a souvent tendance à associer l’abondance à des choses matérielles, alors qu’elle est présente dans bien d’autres sphères de nos vies. Mais comment puis-je donc arriver à dire, qu’elle me permet de vivre dans la gratitude, l’émerveillement et surtout l’abondance ?…

Je sais, c’est difficile à saisir et cela ne veut pas dire que je ne vive pas d’émotion lorsqu’une personne quitte cette vie pour poursuivre sa route ailleurs. Mais je vis aussi bien d’autres choses dont on n’imagine même pas la portée, dans ces moments sacrés!

Tiens, je repense par exemple au dernier accompagnement que j’ai fait. Un homme de 97 ans. Bon d’accord me direz-vous, il a vécu toute une vie et il est normal de quitter celle-ci à un âge aussi avancé.

Il importe de savoir que pour moi, le temps de vie dans sa longévité n’est plus un absolu. On peut mourir à tout âge et même si dans notre vision des choses, il n’est pas « normal » de quitter cette vie à 40 ans, je crois tout de même profondément, qu’on « retourne à la maison » quand notre mandat de vie est terminé. Le sien a juste été plus long.

Cet homme a été un résilient et un pacifique toute sa vie et il s’est appliqué à mettre en place dans son parcours, des règles de vie qu’il avait choisi et qui lui étaient fondamentales pour être heureux ; comme par exemple, ne pas porter de jugement, aider toute personne qui a besoin, sourire, ne pas gaspiller son temps à critiquer ou à gémir sur son sort, etc….Ces règles de vie ont été trouvées par sa famille après son décès et lu le jour de ses funérailles. Je le reconnaissais tout à fait dans ces belles valeurs, en écoutant ce texte !

J’ai connu cet homme alors que j’accompagnais sa conjointe qui se mourait d’un cancer. Elle est décédée depuis quelques années maintenant. Nous avons gardé un certain contact et quand ce fut à son tour d’en perdre physiquement et d’être hospitalisé, la famille a naturellement fait appel à moi pour l’accompagner. Je me suis trouvé à son chevet de nuit, durant un mois.

J’étais émerveillée de constater à quel point cet homme ne se plaignait jamais de son sort et était tout sourire pour chacun. Même au moment où il a su qu’il ne pourrait plus retourner chez lui, il a continué à être résilient et à préserver sa bonne humeur.

Les cadeaux que j’ai reçus à son chevet sont tout, sauf matériels ou monétaires. Il se réveillait et quand il me voyait à ses côtés, il me faisait le plus beau des sourires. Je lui prenais la main qu’il tapotait toujours en signe d’appréciation et me demandait si j’avais bien dormi et si j’étais confortable. Quel homme charmant !

Chaque fois que j’accomplissais une tâche pour lui, si petite soit-elle, il me disait « Merci ma fille » et me tapotait à nouveau la main. Et quand je quittais le matin venu, il n’omettait jamais de me remercier chaleureusement pour « mes bons services », m’exprimant combien il était reconnaissant que je sois là.

Sa vision de la vie, sa manière d’être attentif et reconnaissant pour toute l’abondance affective qu’il vivait autour de lui, lui a permis de vivre et de terminer sa vie dans la plus grande sérénité et dans un état de conscience peu ordinaire.

Le dernier matin avant son départ, que je n’avais pas vu venir vu sa grande lucidité, je me préparais comme à l’habitude à le quitter pour aller dormir. Il m’a encore souri, remercié et m’a dit qu’il se sentait un peu fatigué pour se lever tout de suite. Je l’ai encouragé à rester au lit encore un peu, que rien ne pressait de se lever tout de suite. Il m’a souri, embrassé et ce fut notre dernière rencontre.

On m’a raconté par la suite que sa sœur s’est présenté à son chevet et l’a aussi encouragé à fermer les yeux et à se reposer encore un peu, alors que des membres de la famille jasaient dans la chambre. Il a souri et salué tout le monde et s’est mis à chanter « Ferme tes jolis yeux… ». Quelques minutes plus tard, il avait rendu l’âme, sans tambour ni trompette.

Cet homme extraordinaire m’a laissé tellement de cadeaux de sa belle présence ! Comment ne pas me sentir privilégié d’accompagner les gens à travers cette expérience de la grande traversée ! Et ce n’est pas la première personne de qui je retire autant. En fait il y a plein d’histoires comme celles-là que je pourrai vous raconter où j’ai reçu des présents inestimables, qui enrichissent ma vie et mon expérience ici-bas !

Alors oui, il m’est donné lorsque j’accompagne, de me sentir infiniment choyée,  à travers toutes ces formidables personnes que j’ai le bonheur de côtoyer. Et même dans un contexte aussi exigeant que la fin de vie d’un autre être humain, il est possible de transformer cette étape, par un regard différent, axé non pas sur le manque ou le moins, mais sur le plus que de telles relations ou de tels échanges peuvent nous apporter…et je peux vous dire qu’il y en a toujours !

Même les expériences d’accompagnement les plus difficiles que j’ai vécus m’ont toutes apportées une leçon, un enseignement, une prise de conscience, un changement de perception…et pour cela je suis infiniment reconnaissante ! Oui l’abondance est partout, même dans l’étape finale de notre traversée, la mort. Ne la craignons pas, mais approchons-nous de plus près pour entendre ce qu’ils ont à dire ou à nous offrir en héritage…

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure, conférencière
Écrit pour Holistik magazine, mai 2016
www.facebook.com/accompagnementetsoins

 

Un contact privilégié

J’ai choisi comme travail d’accompagner des mourants qui souhaitent terminer leurs jours à la maison. La plupart des gens que je croise sur ma route me demandent pourquoi ? Pourquoi œuvrer dans cette sphère d’activité chargée d’émotions de toutes sortes ? La réponse est bien simple en fait, j’aime l’être humain. Je crois que chaque personne possède ses richesses intérieures propres, ce qui en fait une personne unique. Cette rareté invite d’autant plus à « prendre soin », à chérir et à exprimer de la gratitude pour avoir le bonheur de cette proximité avec l’autre… du cadeau de sa vie.

Chaque personne que j’accompagne et chaque famille qui entoure ce malade m’enrichit de cette unicité. Et même lorsqu’il y a des situations plus difficiles, je ressors toujours grandie de ces expériences, car accompagner des mourants, c’est un exercice quotidien de cheminement personnel, de questionnement, de prise de conscience sur le sens même de ma propre existence.

Il faut dire que les émotions que je ressens à leur contact sont très différentes de ce qu’éprouvent la plupart des gens à la perte d’un des leurs. Bien que j’aie développé des liens avec le malade, je ne partage pas avec ce dernier le même attachement émotionnel  que celui de ses proches et qui rend leur deuil si difficile.

La mort fait partie de la vie, nous le savons tous intellectuellement…mais peu de gens acceptent cette idée que la vie a une fin. La réalité toutefois, c’est que la mort nous attend tous à notre heure et cela sans exception. Nous verrons des gens mourir autour de nous, nous perdrons des proches et notre propre vie se terminera elle aussi, la vie poursuivant sa route pour ceux et celles dont l’heure n’est pas encore arrivée.

Je suis toujours surprise de constater que bien que la notion de finitude fasse partie intégrante de notre parcours ici bas, la mort continue encore d’être un sujet tabou, peu de gens étant confortables d’échanger sur le sujet ou même d’aborder franchement la question. On a tendance à ne voir dans la mort que les aspects négatifs. Je vois les choses différemment. Oui il y des aspects difficiles : la déchéance physique, la dépendance, la souffrance…. Mais il faut admettre que ces bouleversements font aussi partie de l’expérience, de cette étape finale de la vie…

La tristesse sera toujours présente lorsqu’un proche quittera cette vie, mais cela fait également partie de l’expérience. Je reconnais que la vie est une suite de pertes et de lâcher prise, mais que c’est également ce qui lui donne toute sa saveur. Je conçois que s’attacher et créer des liens veut aussi dire risquer de perdre, mais mieux vaut avoir connu et perdu que de ne pas avoir goûté à tous ces bonheurs. Prendre conscience que cette réalité se produira un jour ou même demain, devrait en fait nous amener à vivre davantage dans l’instant présent et à chérir ce que nous avons aujourd’hui.

Apprendre qu’une personne chère se prépare à franchir cette étape finale permet, pour un moment, d’arrêter quelque peu le tourbillon de la vie pour se consacrer à l’essentiel ; l’amour ou l’affection que nous  portons à cette personne. Dommage toutefois que nous devions attendre un tel bouleversement pour réaliser à quel point la vie est fragile. Lorsqu’on prend les choses ou les gens pour acquis, on arrive à en oublier ce qui les rend aussi précieux à nos yeux.

Lorsque les patients que j’accompagne décèdent, je conserve précieusement dans mon coeur tous les petits bonheurs et les instants privilégiés que nous avons partagés et qui ont enrichis ma vie, peu importe le temps qui nous fut donné. Ce sont des moments que même la mort ne peut m’enlever car ils resteront gravés dans ma mémoire comme d’inestimables présents.

Le plus beau cadeau que j’ai reçu en accompagnant, c’est étrangement de me sentir plus vivante encore et de chérir cette vie qui est mienne maintenant. Il peut paraître étrange de constater que ce sont les mourants qui enseignent à mieux vivre, mais difficile de ne pas se sentir interpellée par leur authenticité et leur lucidité face au bilan qu’ils font de leur parcours terrestre.

J’ai appris également une autre leçon très importante…la mort se prépare. Comment ? Simplement en profitant du temps présent. Si je m’accomplis comme personne, si je développe mes forces, si je nourris mes passions, si je réalise mes rêves, si j’apprends de mes erreurs, si j’entretiens des rapports authentiques avec les gens que je croise sur ma route, si je sème l’amour partout sur mon passage…..mourir ne pourra que se vivre différemment, comblée et heureuse d’avoir accompli ma mission de vie. Cette riche leçon d’une simplicité désarmante est devenue mon leitmotiv.

Mourir est notre destinée à chacun et celle-ci est inscrite depuis notre premier jour de vie sur terre. À cela on n’y peut rien. Mais on peut par contre choisir comment on voudra vivre cette vie et l’influence qu’elle aura sur celle d’autrui, à travers notre expérience. Modifier cette façon de regarder les choses pourrait changer notre vision de la dernière étape de notre parcours, mais plus encore du temps qui nous est donné de laisser notre trace en ce monde.

Je me sens interpellée à briser des barrières en regard à cette réalité de la mort dans notre existence et parce que j’ai le privilège d’accompagner, j’ai l’opportunité d’être confrontée à toutes ces questions dans mon quotidien. Côtoyer ces gens au seuil du grand passage me donne alors la possibilité de regarder les choses avec une vision différente que j’ai le goût de partager à travers un livre que je viens de publier aux Éditons La Plume d’Oie et qui s’intitule, « Le privilège d’accompagner…..choisir de côtoyer la mort ».

Nous aurions tous intérêt comme mortel à ne pas fuir cette situation lorsqu’elle se présente sur notre route, mais plutôt à ouvrir cette porte vers l’inconnu, même si cela est difficile et exigeant. Pour l’avoir expérimenté à maintes reprises, je peux affirmer que malgré la tristesse, des cadeaux précieux nous sont offerts, modifiant considérablement notre vision de la vie par la suite.

Au même titre que la naissance, la mort fait partie d’une étape charnière et tout aussi sacrée de notre existence. Je suis convaincue que notre raison d’être ici bas c’est l’amour, mais aimer c’est également apprendre à se détacher, ce qui ne signifie pas oublier…car l’amour lui ne meurt jamais.

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure,conférencière
Article écrit pour la revue Profil, déc. 2012
www.facebook.com/accompagnementetsoins
hegir@hotmail.com

 

La mort, une ennemie ?

Nous allons tous mourir !
Mais pourquoi donc alors vivre sans tenir compte de cette réalité ?

Non, ça n’arrive pas qu’aux autres, nous y passerons tous, sans exception d’âge, de religion, de classe sociale ! Je ne viens pas de faire une découverte majeure…nous savons tous que nous allons mourir depuis notre conception. Cette destinée est le chemin pour chacun et bien que la science, les technologies et la médecine évoluent à un rythme dont on a parfois peine à suivre la progression, nous continuons de voir la mort comme un échec, une injustice et elle demeure taboue dans une société que l’on dit évoluée.

Je suis surprise et ne le suis pas en fait. Avant de côtoyer moi-même la mort d’une façon régulière dans mon quotidien, je voyais aussi les choses un peu de cette façon. Plus maintenant. J’accompagne depuis plusieurs années des mourants qui souhaitent terminer leurs jours à la maison et cette vocation a eu tout un impact sur mon existence et ma manière de vivre.

On a parfois malheureusement tendance à prendre les choses et les gens pour acquis, ce qui en fait, les banalise, les rends ordinaires, habituels, normaux…. On se croient éternels et on pense qu’on a toute la vie devant nous. Je ne peux toutefois faire autrement que de constater que la majorité des patients que j’accompagne ces dernières années sont atteints de cancer et que leur âge moyen se situe entre 50 et 62 ans. Ces gens ont travaillés fort toute leur vie pour tenter de se préparer une retraite confortable et ils n’ont même pas eu le temps d’arriver à cette étape, de réaliser les objectifs qu’ils s’étaient fixés.

Je fais partie de cette catégorie d’âge là…. Il y a de quoi réagir ! Il faut dire que de toute façon, côtoyer la mort aide à remettre les choses en perspective, à redéfinir mes valeurs, à faire des bilans, à demeurer le plus possible dans l’instant présent, à garder mon attention fixée sur l’essentiel.

Et l’essentiel c’est quoi au juste ?

.Moins travailler et faire des choix davantage en harmonie avec mes valeurs, pas seulement basés sur mes insécurités et mes peurs….
.Avoir des relations significatives avec les gens que je côtoie…..
.Prendre le temps de faire des choses que j’aime et qui me font plaisir et éviter  d’attendre uniquement un jour d’avoir le temps…..
.Apprécier la nature autour de moi, les changements de saison apportant chacune leurs joies….
.Réaliser mes rêves pendant que j’ai la santé…
.Entretenir mes amitiés pour éviter de les perdre parce que je les ai négligé….
.Éprouver de la gratitude pour ma vie en ce moment…..
.Ne pas attendre seulement une occasion spéciale pour utiliser mes beaux objets, pour porter mes vêtements neufs……
Et combien d’autres choses ! La liste peut s’allonger encore et encore…

Si j’apprenais aujourd’hui qu’il ne me reste que quelques semaines à vivre, qu’aurais-je le goût de faire maintenant ? Il est bon de se poser la question, de se mettre soi-même dans cette situation quelques minutes…les choses qui ont de l’importance pour vous se manifesteront d’elles-mêmes sans effort. Les valeurs qui vous sont chères seront mises en lumière. Les gens qui ont une place particulière dans votre cœur seront dévoilés à votre conscience.

Ce qui compte le plus pour vous sera tout à coup évident, clair et simple, sans encombrement du matériel que nous accumulons au fil d’une vie. Ce sont toutes ces choses qui donnent réellement un sens à notre vie, qui nous offrent justement la sensation d’être vivant et heureux. Pourquoi alors attendre un ultimatum ou l’annonce d’une maladie terminale pour agir, pour mettre tout cela en application aujourd’hui même, maintenant que c’est encore possible.

Vivre ainsi nous donnerait justement moins l’impression que ces événements sont une injustice ou qu’on ne mérite pas que ça nous arrive. Personne ne « mérite » de mourir, c’est simplement notre destinée à nous les humains et vivre au jour le jour avec plus de conscience, en s’attardant à ce qui importe pour nous éviterait bien des regrets et des remords au moment du bilan final.

Il va s’en dire que cela changerait aussi radicalement les rapports que nous avons avec autrui. Au lieu de juger, de comparer, de s’attarder aux petits travers, de faire des histoires avec un rien, de crier…nous voudrions avoir des échanges où chacun serait préoccupé des gestes à poser, des paroles à prononcer…parce que chaque personne par son unicité peut faire une différence en ce monde, nous enrichir par sa présence, faire avancer l’humanité par son apport personnel.

Cela semble être un idéal inatteignable et peut-être me dira –t-on que je rêve en couleur et que tout cela est impossible…je n’en crois rien. Je suis convaincue que si chaque personne avait conscience que sa vie pouvait se terminer demain, sa façon de vivre aujourd’hui serait bien différente. Je ne dis pas que c’est facile dans un monde où la performance, l’acquisition de biens et l’image sociale sont les valeurs qui priment, mais ça ne veut pas dire que vivre autrement n’est pas possible.

J’entends souvent la phrase « Mais je n’ai pas le choix…. ». Désolée, mais même quand on pense qu’on n’a pas le choix, il y a des choix possibles, c’est juste que je décide d’assumer les conséquences des choix que je fais. J’ai choisi d’être heureuse maintenant, pas plus tard…car plus tard, je pourrais ne plus y être. Votre vie vous échappe t’elle maintenant ? Il n’est pas trop tard pour faire une remise en question…la vie est trop courte pour se la rendre plus difficile qu’elle ne l’est en réalité.

Hélène Giroux
Accompagnatrice, auteure  et conférencière
Écrit en février 2013